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O
printemps ! Les plantes qui ne vivent qu’un an ont
leurs fragiles fleurs plus pressées. L’homme n’a
qu’un printemps dans sa vie et le souvenir d’une joie
n’est pas une nouvelle approche du bonheur. (André
Gide sur l’Adriatique à 3 heures du matin)
Photos
commentées par Bernard Baudru.
1)-Lycée
Fromentin photo prise du balcon de notre appartement
2 et 3)-Lycée
Fromentin photos prises de la terrasse du 16 chemin des Crêtes
4)-Le début
du chemin des Crêtes et le rond point du Golf vus de la terrasse
5)-Madame
Baudru mère. Au fond, le jardin et l’angle de la maison de Massu
6)-Vus de la
terrasse des immeubles du Golf et le chemin Zaatcha
7)-Encore le
début du chemin des Crêtes et le rond point du Golf, photoprise du sol
8)-Une vue
de l’église Sainte Anne et de Diar-es-Saada
9)-Photo de
notre immeuble 12, 14 et 16 chemin des Crêtes construit en1954 par l’entreprise Masini comme
plusieurs immeubles du Golf
10) Photo de
mon auguste personne prise surs notre balcon à Pâques1963. C’est pendant ces vacances que je
suis retourné en Algérie pourla dernière fois. Où ma famille était installée depuis 1840.
11) Jean
Soria (voir des photos du chapitre La piscine) et Jacqueline
12) Eddy
( ?) et Jacky Lopez qui habitait au 12
13)
Jean-Pierre Roux (mon voisin de palier), Marie-Thérèse Michaud et Bernard Pons qui habitait au 14. Ils se
sont mariés quelques annéesplus tard.
14)-Jacky
Devésa qui habitait au 12.
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Bernard Baudru. Il nous dit que ces photos sont d’un faible intérêt sur le plan
artistique mais immense sur le plan sentimental. Pour mémoire, ajoute-t-il, le chemin des Crêtes partait du rond
point du Golf pour finir au Clos-Salembier. L’immeuble que Bernard habitait,
était situé juste avant le premier
virage de cette route dans lequel était la villa habitée par des officiers
généraux et en particulier Jacques Massu entre 1956 et 1959. Deux cents mètres
environ plus loin s’élevait l’église Sainte Anne.
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C’était
peut-être un lieudit. J’ai bien connu Le Golf mais
n’ai jamais su où étaient fixées ses
limites par rapport à la Redoute et au Clos-Salembier.
Guy, qui nous a contacté,
nous envoie sa carte des nouvelles piscines d’Alger, centre
Frédéric Lung. L’adresse de Guy : 13,
rue de la Vallée « le Golf ». Il
nous dit : « Le Golf était-il
rattaché à la Redoute ou au Clos-Salembier ?
Mes souvenirs sont assez flous. Nous mettions indifféremment
sur les enveloppes : La Redoute, Birmandreis ou Le Golf, et
peut-être les trois à la fois et les lettres
arrivaient toujours. »
Nous
lui demandons de nous fournir des détails de son quartier
et de fouiller dans ses souvenirs
-Mais j’étais
trop jeune! Affirme-t-il.
Il revoit ce qui lui paraît
être le centre du Golf, et un immeuble rond, près de
l’arrêt de l’autobus, un immeuble
demi-circulaire, au carrefour. Cet immeuble abritait un
café-hôtel et dans ses souvenirs de 1962, l’immeuble
n’avait pas plus de quatre ou cinq étages.
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Un
cinéma au Golf. En 1956, notre père avait
fait l’installation électrique du cinéma du
Golf. D’après les renseignements que nous avons pu
obtenir, la salle était située chemin Shakespeare,
ce chemin qui traversait le bois de Boulogne et allait vers la
colonne Voirol.
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L’homme qui me donne ces renseignements
s’appelle Djilali et il a 60
ans. C’était, dit-il, un cinéma super, tout
comme celui de la Redoute qui appartenait à monsieur
Codino. Djilali se souvient aussi de l’ouvreuse qui
s’appelait Odette.
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Revenons
avec lui au cinéma du Golf puisqu’il peut nous
informer. Laissons-lui la parole: «Malheureusement des
imbéciles ont jugé utile de le détruire (le
cinéma) ainsi que tout ce qu’il y avait autour :
le petit restaurant qui se trouvait au bas du cinéma, le
grand bar, le magasin de dégraissage de
vêtements (nous disons aujourd’hui un pressing),
le boucher qui donnait sur la rue Claude Bernard. Même les
courts de tennis n’existent plus. » Nous
ajouterons que les courts de tennis portaient le nom de stade
Rolland et que la rue Claude Bernard longeait en partie un
lotissement dit Quartier d’Arnaud de Vitrolles.
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Que
reste-t-il aujourd’hui de notre Golf ? Il ne
reste que deux bâtiments qui sont occupés par
l’administration, la Présidence de la République
et le Ministère des affaires étrangères.
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Notre
famille avait été invitée à
l’inauguration de la salle. Je me souviens très bien
de cette soirée. Le film, Vacances
à Venise. A la sortie, les commentaires
allaient bon train. Notre père trouvait que l’actrice
- Katharine Hepburn - était trop âgée pour le
rôle tandis que son associé, Norbert, prétendait
qu’elle n’était plus de première
fraîcheur. Moi, je me taisais. Internet nous dit
aujourd’hui que Katharine Hepburn, au moment du tournage de
ce film en 1955, avait 48 ans.
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C’est
avec plaisir que je revois l’affiche de ce premier film
passé au Golf. Je vivais alors dans ma ville et dans un
quartier que j’aimais. Pourtant j’avais rêvé
durant cette soirée et puis les jours suivants, d’aller
visiter Venise, d’y séjourner. Ici à Alger,
le sel perdait de sa saveur. L’envie soudaine de voir autre
chose que la piscine du centre Lung ou les plages de la Madrague
à Guyotville ou de cap Matifou. J’arrivais à
saturation, croyais-je ? Je reprochais à mes parents,
à ma famille, à leurs amis, de tourner en rond
autour d’Alger.
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Loin du
Clos-Salembier, à Venise.
Le sablier du temps a coulé
et un jour, j’ai visité Venise. Réalisation
d’un rêve. J’ai passé mes nuits dans un
palais mal aménagé pour les touristes, j’ai
bu un chocolat assis à la terrasse du Florian, j’ai
traîné sur la place Saint-Marc au milieu des
touristes et des pigeons, tous trop nombreux et mes yeux ont erré
sur la lagune. J’ai pris plaisir à me déplacer
dans des gondoles noires, menées d’une seule rame.
J’ai voulu me remplir les yeux d’images célèbres
comme le pont du Rialto, le palais des doges, le pont des
soupirs. Vacances à Venise ? Oui. J’avais
appris à aimer Venise au cinéma du Golf. Les
souvenirs sont intacts.
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Une
information vient de m’être livrée. Mustapha,
un employé de mon père, a pris la direction du
cinéma du Golf après l’indépendance.
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Dans
les plus belles villes du monde, j’ai goûté à
toutes les cuisines, piquantes, relevées ou insipides.
Près de Venise, à Murano, j’ai dévoré
des pâtes et des spaghetti préparés de cent
manières. Je ne renie rien mais je sais aujourd’hui
que c’est autour d’un bon couscous préparé
par Tounsi que nous faisions la fête. Et j’en reviens
toujours au Clos-Salembier.
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J’ai
placé mes nombreux voyages entre parenthèses dans
ma vie car ils ne m’ont apporté ni grande
sagesse ni expérience. La musique orientale qui nous
agaçait tant en Algérie nous réconcilie
aujourd’hui avec une culture qui n’est pas la nôtre
mais dont nous sommes un peu imbibés. Les danses, les
chants, les you-you des femmes, les parfums de fleurs d’oranger
et de jasmin, étaient mêlés à notre
vie européenne avec beaucoup d’étroitesse.
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J’ai
toujours dans la tête les propos de ce chauffeur de taxi
qui s’était arrêté au début de
l’avenue du 8 novembre pour que je puisse admirer (encore
une fois !) les tritons de Diar-el-Mahçoul. C’était
sept ans après l’indépendance. J’ai mon
passeport sous les yeux, (la date :25 mai 1969 et le tampon
de Dar-el-Beida) gardé précieusement, comme une
relique et il me donne envie de pleurer.
J’en reviens
au chauffeur de taxi. Il devait avoir l’âge de notre
père et il murmurait : « Il faut
revenir. Vous êtes ici chez vous…»
Revenir ?
Déjà en 1968 nous écoutions le disque de
Nicoletta qui chantait « Il est mort le soleil »
et nous y allions de notre petite larme.
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Lorsque
je pars en vacances sur les bords de la Méditerranée,
poussé par une force mystérieuse, je me plante face
à la mer, et je regarde avec insistance le bleu de
l’horizon, le vide, le néant peut-être.
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Non,
pas le néant parce que je sais bien que là-bas,
très loin, ils m’attendent et ils m’attendront
toujours, mes beaux quartiers imbriqués les uns dans les
autres et ne faisant qu’un : Le Clos-Salembier, la Redoute,
le Golf… Là-bas, sur les hauteurs d’Alger.
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Tout
près du Golf, le bois de
Boulogne Chemin Shakespeare et le petit chemin du Golf.
Ici, un bois planté de pins et d’eucalyptus, un bois
que connaissaient tous les Algérois. Voici ce que dit
Jacques Gandinidans son livre ALGER
DE MA JEUNESSE : «On pouvait traverser
le bois de Boulogne par le chemin des Crêtes, ou chemin
Shakespeare, qui passait à un kilomètre de
l’Olivage, entre le quartier de la Redoute, construit
depuis les années trente autour de son église
dédiée à Sainte-Anne, et le Golf. »
Mais Chistian Ripoll rectifie : « Le chemin des Crêtes ne
traversait pas le bois de Boulogne, il allait du Golf à Sainte-Anne. Le chemin
Shakespeare partait du Golf, faisait une petite boucle dans le bois de Boulogne
et revenait face à la grande porte du lycée Fromentin. Le chemin du Golf ne
pénétrait pas dans le bois de Boulogne. Il s’embranchait surs le chemin
Shakespeare avant d’entrer dans le bois, il desservait le rectorat et
rejoignait l’avenue Jonnart face au lycée Fromentin.
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Une série de photos que nous devons à Renée et Francis Rambert.
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Teddy
Alzieu dans son ALGER AUTREFOIS
(encore un de mes livres de chevet !) explique que le
bois de Boulogne était le poumon vert des hauteurs de la
capitale. Il était fréquenté par la
population algéroise qui aimait pique-niquer à
l’ombre de ses frondaisons, surtout à l’occasion
de la traditionnelle mouna du lundi de Pâques.
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Les
militaires appelés de la Vème Région
aérienne, encadrés par des sous-officiers, allaient
faire de l’exercice et préparer le peloton de
caporal et caporal-chef au bois de Boulogne. Les parisiens alors
en uniforme avaient une attitude qui me paraissait méprisante
lorsqu’ils échangeaient un regard et
s’exclamaient : «Et ils appellent ça,
le bois de Boulogne! »
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C’est
vrai que chez nous, au Clos-Salembier, à la Redoute, au
Golf, au Bois, le second-Empire n’avait pas laissé
de trace, Eugénie n’y était jamais venue. Pas
de lacs artificiels pour poser ses yeux et rêver, pas
l’ombre d’un pavillon Bagatelle et ni Pré
Catelan. Notre grand quartier semblait privé d’Histoire.
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Quant à la prostitution, elle aurait fait faillite dans
notre bois qui était, selon Teddy Alzieu, une vaste
promenade de 23 hectares plantés de pins et d’eucalyptus
au sommet de la colline, non loin de la colonne Voirol, point
culminant de la route entre Alger et Birmandreis, la plaine de la
Mitidja, l’Atlas tellien et les montagnes de la Kabylie.
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Parfois
s’ouvrent des espaces lumineux dans la nuit froide de
l’oubli et je ne sais plus où finit le rêve
et commence le sommeil. Je reconnais tout de suite la qualité
de l’air des hauteurs d’Alger et le parfum des
eucalyptus. Insomnies. Au printemps, nous recherchions déjà
les coins d’ombre et les parents s’asseyaient sur une
vieille couverture dépliée. Causerie des adultes et
c’est ma mère qu’on entendait le plus. En
automne, entre les arbres, planait une odeur d’escargot ou
de champignon.
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Ah, la bonne odeur de l’humidité dans
notre Bois! Je vois un garçon en culotte courte qui grimpe
aux arbres et qui considère que cette petite escalade est
un exploit. Que vois-je donc encore ? Près d’une
maison délabrée fleurissaient en avril des
jonquilles que nous allions cueillir. Nos mères
s’extasiaient et faisaient semblant d’être
heureuses. Parfois l’une d’elle dévissait
une bouteille thermos et nous servait du chocolat chaud. Au
printemps, nous étanchions nos soifs avec un jus d’oranges
pressées ou de l’eau plate, tout simplement.
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Ils
me collent à la peau ces grands et beaux quartiers des
hauteurs d’Alger. Je les revois toujours en transparence
derrière les paysages de mes longs voyages au bout du
monde. Je garde de ces quartiers bien plus que de la nostalgie.
Une forme de regret. Oui, avant l’indépendance,
j’aurais dû monter les voir une dernière fois,
les imprimer en moi et leur dire adieu. Mais j’étais
tellement persuadé que je reviendrais.
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Les accords
d’Evian, y ai-je seulement un peu cru ? Non, et sans
conteste, personne n’a été dupe. Une
mascarade. Et la mascarade est passée. Certes, j’ai
bien laissé les empreintes de mes pieds dans la terre des
chemins Lung mais elles ont été effacées par
le vent de l’Histoire, ce vent qui n’en finit pas de
souffler, de nous brûler, de nous blesser. Et mon
Clos-Salembier m’a oublié.
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