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Une carte postale de Diar Es Saada à l'époque.
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Une photo aérienne récente récupérée sur GoogleEarth.
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Octobre 2005 : 5000
visiteurs. Octobre 2006 : plus de 11 000 visiteurs. Et des messages qui me
parviennent toujours. Et moi, gros maladroit qui essaye de répondre. Et
d’autres messages qui tombent encore. Mon Clos-Salembier devient tonneau
des Danaïdes. De ma vie, je n’ai jamais répété autant de fois merci, et encore
merci.
Que me disent donc tous ces visiteurs ? D’abord la surprise, la surprise d’avoir trouvé ce site. Ils regardent les photos puis ils
parcourent le texte et, souvent, les larmes leur montent aux yeux. Les
Algériens recherchent souvent des amis français et je détecte comme une once de
regret dans leurs propos.
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Nous, Européens, nous avons laissé là-bas beaucoup
d’ennemis, soit, mais aussi combien d’amis, d’amis qui n’ont pas tout de suite
compris notre départ. Ils m’invitent chez eux et veulent me servir de guide.
Ils ne se doutent pas que, même aveugle, je crois que je retrouverais mon
chemin tant il me semble que tous les chemins de l’Algérois sont imprimés en
moi. Ils ne savent pas non plus que je rêve la nuit en déchiquetant les
mille parcelles de mes souvenirs pour aller fouiller au fin fond de
moi-même. Des flots d’images me reviennent dans la nuit. Elles montent en moi
par palier, comme par exemple l’aube qui se lève sur le palais du gouverneur tandis
qu’une lumière rose baigne l’orgueilleux bâtiment qui trône dans un air
assaini.

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Une image encore : Des femmes vêtues de haïks rayés, accroupies
et qui éventent les braises du canoun. Le parfum de la soupe arabe appelée
chorba, préparée par Adjila, semble planer dans la pièce. Et les gâteaux ?
A Paris, il est facile de se procurer des gâteaux arabes (il faut dire gâteaux
orientaux) mais ils n’ont pas le goût de ceux que j’achetais chez les
marchands de beignets situé près de l’église Sainte-Anne à la Redoute ou au
début de la rue Meissonnier. Il fallait faire la chaîne pour se faire
servir et la plupart des clients étaient des Français de souche. Enfin, grâce,
nous avons nos gâteaux. En revanche je suis privé de pain arabe. C’est le pain
arabe qui me manque le plus.
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Chants, bruissements, échos
et parfums de là-bas ! Dans les arbres du centre aéré Lung, beaucoup
d’oiseaux chantaient et je reconnaissais le sifflement mélodieux des
chardonnerets. Nous les entendions mais ne les voyions pas. Ils se cachaient
pour chanter. Côté stade, je longeais l’étroit jardin avec les enfants et leur
demandais de ne pas faire de bruit pour mieux savourer les cris de la nature.
Parfois vibrait dans le silence le son d’une derbouka. Lorsqu’il faisait trop
chaud, le ciel devenait gris et alors tombait la pluie en gouttes larges.
J’enlevais mes lunettes et je laissais mon corps quelques instants s’imprégner
d’humidité. Les enfants cherchaient un abri. La musique de la pluie remplissait
nos oreilles.
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Nous attendions la fin de l’averse. Nous humions l’odeur des
sous-bois, cette odeur mouillée qui sent les champignons. Nous mangions des
makrouds parfumés à la fleur d’oranger et la fleur d’oranger a
gardé pour moi un pouvoir magique. Je débouche un flacon et je me retrouve sur
les hauteurs d’Alger.
Et le printemps ? Je
n’ai pas parlé du printemps au Clos-Salembier. La floraison était merveilleuse.
Autrefois les petites filles passaient des fleurs de jasmin dans une fine
cordelette, guirlande blanche piquée de quelques pétales de géranium rouge et
la guirlande devenait collier. Les fillettes se déplaçaient en laissant
derrière elles une fragrance que je recherche en vain aujourd’hui. Elle a même disparu de ma mémoire. Sur le
chemin des Sablières, une cité s’appelait la cité des jasmins.
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« Seigneur, que
tant de mers me séparent de vous ».
L’histoire de la fin des
Français d’Algérie est vite résumée.
L’homme politique Jacques Baumel parle
(parlait puisqu’il est mort) d’un tragique malentendu. Un
malentendu qui a jeté vers la mer et sur les routes de France plus d’un million
de Français. A notre tour, nous sommes devenus des indigènes puisque nous
sommes, en France métropolitaine, chez
nous, dans notre pays. (Je préfère le mot patrie. Notre pays, il était là-bas)
L’ancien maire de Rueil-Malmaison réduit cette catastrophe humanitaire, ce
grand déchirement, à un … malentendu.
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Des amis virtuels du
Clos-Salembier déplorent notre absence, savent bien que nous ne reviendrons
plus. Ils n’hésitent pas à nous faire savoir avec beaucoup de sincérité que ce malentendu
est un affreux gâchis pour tous. Ils mesurent le poids de leurs mots, le
poids de notre détresse. Si j’excepte le courageux Hacène Nekaa, nos
correspondants du Clos-Salembier préfèrent rester discrets. Chez nous, c’est
différent. Nous écrivons et nous publions tout ce que nous voulons.
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C’est dans la nuit que
fonctionne le mieux l’écran de ma mémoire. Oui. Ah, les nuits de là-bas !
Des aloès immenses tendaient leurs branches grasses et pointues comme pour nous
faire penser à des fantômes. Quelques très rares oiseaux se déplaçaient au crépuscule sans bruit, au-dessus du parc de
la Croix-Rouge; des chauves-souris voletaient dès la fin du jour et des
papillons tournoyaient autour des lampes. Le cri de la chouette déchirait
l’obscurité. Les enfants trouvaient des vers luisants. Nos corps recherchaient la fraîcheur et nous
guettions, par jeu, les étoiles filantes. Les filles faisaient des vœux. Le
bassin des dauphins de Diar-es-Saâda se parait de reflets argentés lorsque la
lune était pleine. Ah, le délice de mes nuits de velours ! Le redirai-je
assez ?
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Je sais bien qu’aujourd’hui,
au-dessus de Belcourt, la chorba mijote toujours sur les canouns et les femmes
préparent les gâteaux aux amandes et au miel. Le jasmin embaume les jardins
d’où monte peut-être encore le rire des petites filles.
Le jour se lève et les
hommes partent travailler en silence. Je pense à nos bons employés d’autrefois
qui ont vu un jour partir leurs chefs à
tout jamais.
Beaucoup ont attendu naïvement le retour de leurs patrons
français, en vain. Les années sont passées et ils sont morts sans avoir
compris.
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En France, à Paris, les
nantis que nous sommes devenus, vivons dans l’abondance mais nous ne sommes pas
du tout conscients de notre aubaine. Lorsqu’au Journal télévisé de vingt
heures, Patrick Poivre d’Arvor ou Claire Chazal commente les misères, les famines et parfois
la déchéance de pays en voix de développement, nous restons de
marbre. Nous avons tous eu notre part de souffrance et le malheur nous a
aguerris. Ceux qui ont trop pleuré n’ont plus de larmes. Ce site n’est plus le
mien. Il nous appartient à tous. A tous ? Oui à tous les anciens du
Clos-Salembier. Il reflète notre passion, notre douleur, notre amour et notre
désespoir.
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Aujourd’hui je fais appel à tous les moniteurs autochtones de la
Croix-Rouge qui ont travaillé avec moi, qui sont photographiés avec moi, qui
m’ont connu. Je leur pose la question : « Qu’ai-je donc
fait ? Oui, qu’ai-je donc fait pour être ainsi puni. Ne plus voir et
revoir mon Clos-Salembier. Dites-moi donc. Réponse sur le Livre d’or ».
Ce dont
je suis sûr, c’est que la guerre d’Algérie nous a anéantis.
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Octobre 2004, lancement du
site. Octobre 2005, nous arrivons au chiffre de cinq mille
visites, en janvier 2006, bientôt six mille.
Et moi, Marc, animateur de ce site, désire
informer nos lecteurs ou internautes de ma totale surprise. Sur
le moment et pendant plusieurs mois, je n’ai pas tout de
suite très bien compris le succès de ces pages
écrites simplement mais avec passion.
Ce site, je le
portais en moi depuis tant et tant d’années, à
une époque où Internet n’existait pas.
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J’imaginais
faire éditer une petite brochure (mais quel éditeur
en aurait voulu ? ) destinée aux nombreux enfants du
centre de la Croix-Rouge, aux moniteurs, à des amis.
Et
puis notre cousin Alain a trouvé dans une brocante, les
merveilleuses photos de Diar-es-Saada et de Diar-el-Mahçoul
:- Tiens, c’est pour toi.
Tu connais bien le Clos-Salembier. Ces photos, je
n’ai pas voulu les garder par devers moi. Point d’égoïsme.
Il fallait en faire profiter tous ceux qui avaient aimé ce
beau quartier d’Alger.
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Alors,
impatients, nous avons attendu des signes d’amitié
d’Algérois d’autrefois qui avaient connu la
Croix-Rouge ou qui avaient habité le Clos-Salembier, mais,
disons-le avec beaucoup de franchise, de l’Algérie
d’aujourd’hui, nous attendions peu de signes.
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Nous
nous sommes trompés quant à l’évaluation
de nos futurs lecteurs. Les Algériens qui nous écrivent,
sont les plus nombreux. Des encouragements, des félicitations,
des invitations. Nous savons que l’hospitalité
algérienne n’est pas un vain mot.
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Pourquoi ?
Parce que la guerre, c’est indéniable, détruit
le moral des hommes qui la subissent et la guerre que nous avions
connue là-bas, avec son lot d’attentats, de
détonations, d’odeur de poudre, d’innocents
châtiés, nous avait trop marqués et
trop fait souffrir. Les Algériens en disent tout autant.
La guerre frappe toutes les populations. Et, cela est bien connu,
l’ennemi sanguinaire, c’est l’autre.
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Nous
réceptionnons les messages et nous restons pantois. Alors,
alors ? Et si nous retournions (pour moi, au soir de ma vie)
une dernière fois revoir Alger ! Alger et Guyotville, Fort
de l’Eau, le cap Matifou, Rouiba, le Clos-Salembier …
Un étourdissement ! Et si là-bas, tout là-bas,
c’était encore un peu chez nous ?
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