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Selon l'expression, j'ai été libéré de mes obligations militaires le 16 août 1960. L'Algérie, qui était alors en pleine débâcle, n'offrait plus de travail à ses fils. Pourtant, bon gré mal gré, il me fallut bien trouver un emploi sans tarder, gagner ma vie.

Cet emploi m'attendait, semble-t-il, et il m'a permis de subsister. Et où l'ai-je donc déniché ce petit job ? Encore une fois sur les hauteurs d'Alger.

Le matin, je prenais le bus K qui passait devant le palais du gouverneur, et j'admirais l'élégance du bâtiment. Je goûtais le plaisir de vivre encore dans ma ville. Ma ville que je contemplais dès que nous roulions sur l'avenue Foureau-Lamy.

La Redoute m'apparaissait, selon la luminosité du ciel et des nuages, comme baignée de rose, douce comme un tableau de Corot, mais j'ajoutais à la gamme de couleurs peu étendue du peintre un rose dilué.

Le modèle était un marchand de légumes ambulant de la Redoute. Peinture à l’huile sur peau d’âne tendue sur un cadre en losange de 30 x 30 cm. Fin des années 1920.

Le modèle était une jeune bonne de madame Robinet. Peinture à l’huile d’environ 40 x 30 cm.

 

Ces deux tableaux sont signés d’Auguste Robinet qui demeurait 108 chemin Abd-el-Kader, villa  « Les papillons » à La Redoute.

André Robinet dit « Musette ». C’est sous ce pseudonyme qu’il avait écrit et publié ses ouvrages Cagayous.

 

Tout près de l'église il y avait un marchand de beignets (ah, les délicieux beignets arabes, gonflés, cuits dans l’huile et que nous dégustions, tenus par un papier qui devenait très vite aussi gras que le beignet) et les enfants entonnaient tous : 

Marchands d’beignets  (bis)

   Fais-moi crédit  (bis)

   J’ai pas d’argent  (bis)

   J’pai’rai samedi (bis)

C’est toujours avec un petit pincement au cœur que je revois cette photo de l’église Sainte-Anne. Mon oncle, le frère de ma mère, s’y maria en 1945 parce que sa promise habitait la Redoute.

J’étais « garçon d’honneur » en culotte courte. Une photo avait été prise et un peu de riz jeté. Des années durant, je suis passé devant cette église et puis, depuis que je suis en exil, j’ai fait le rêve d’y retourner un jour, d’y rentrer, signe de croix et génuflexion.

Je me disais : « L’église a dû rester l’église, elle n’a certainement pas été touchée puisque, là-bas, ils respectent les lieux saints. » Hélas, elle a été démolie. Démolie, tout simplement. Encore un crachat qu’il nous faut éponger, mais les chrétiens, selon l’expression, en ont vu d’autres. J’ai quand même de la peine.

J'avais souvent envie, après mon travail, de partir le nez au vent pour admirer la fontaine des tritons (ces chevaux marins à queue de poisson sortis de la mythologie grecque) exposée à la porte de la Mer à Diar-el-Mahçoul ou pour me rendre sur le chemin Laurent-Pichat, là où s'arrêtaient les bus du centre de jeunesse ; juste pour voir et revoir, embrasser d'un seul coup d'œil, le port, la baie, le Jardin d'essai. Hélas, ce n'était qu'une envie non satisfaite, une forme de vœu. Oui, il était bien fini, le temps des promenades. Ces deux tableaux de la baie d'Alger (" un des plus beaux paysages du monde " disait Camus), la Redoute et le Clos-Salembier, sont devenus pour nous des tableaux perdus, perdus comme tous les petits paradis dans lesquels nous vivons sans savoir qu'ils ne sont que des dons provisoires.Nous nous déplacions la peur au ventre. Des Européens abattaient des Arabes et des Arabes abattaient des Européens. Le délit de faciès, les Français l'ont connu aussi. Merci.

Pourtant, il était là, mon Clos-Salembier, je le voyais, je devinais le chemin du Grand pin et, derrière encore, la cité arabe avec ses noms de fleurs : rue de l'Aubépine, rue des Marguerites, rue du Muguet, rue des Tulipes, rue des Volubilis, rue des Narcisses, rue des Coquelicots ... Chez les Arabes, les noms de fleurs passaient mieux que les noms des grands hommes politiques ou des écrivains français.
Toutes ces rues qui s'entrecroisaient comme dans un grand jardin me faisaient penser à Hadjila, qui habitait là. Hadjila avait été longtemps la femme de ménage de mes parents. Elle venait chez nous comme serait venu un membre de la famille. Je me souviens : nous avions été invités au mariage de sa fille aînée.

J'étais enfant. Nous avions bu du café ou du thé, mangé des macrouts et des montécaos, bien sucrés, bien gras, un délice. Et partout comme une odeur de fleur d'oranger. La mariée se tenait seule, je veux dire loin de l'élu de son cœur. Des dames autour d'elle. Le mari, lui, se trouvait dans une autre pièce avec les hommes invités. J'entends encore le youyou des femmes, tandis que les hommes regardaient en souriant une belle mauresque qui faisait la danse du ventre, cette danse du ventre que j'ai toujours aimée. "Trabadja la moukère", murmuraient les enfants européens dont je faisais partie.

Un jour, Hadjila nous a annoncé que son fils Abdel-Aziz (deuxième en partant de la droite) avait passé son certificat d'études et que maintenant il devait travailler. Elle demandait avec naturel l'aide de mon père.

Chez nous, très franchement, Hadjila était un peu chez elle et son fils aussi puisque tout de suite mon père décida de l'embaucher dans son entreprise d'électricité.

Il est resté des années chez nous, sérieux et loyal, déjeunant parfois à notre table, se taisant lorsque devant lui nous parlions de la guerre et des attentats. En confiance, mon père le raccompagnait le soir au milieu de la cité des Fleurs au Clos-Salembier. Au début de l'année 1960, la nouvelle nous parvint immédiatement, sèche et blessante comme une déflagration : Abdel-Aziz venait de se tuer à moto, du côté de la rue Michelet.

Mes parents se rendirent à la cité des Fleurs, cette cité dont mon père connaissait si bien le chemin.

Ils sortirent d'une voiture plutôt confortable, habillés tous les deux avec une certaine élégance et tout de suite les voisins arabes alentour se montrèrent nombreux. Pas une invective, pas un mot. Un silence respectueux. Hadjila tomba dans les bras de ma mère et elle pleura sur l'épaule de mon père.
Qu'est-elle devenue, notre Hadjila ? Elle avait eu onze enfants. Des enfants qui ont aujourd'hui la soixantaine ou plus. Vivent-ils encore au Clos-Salembier ? Contemplent-ils la baie d'Alger en rêvassant comme je le faisais ou vont-ils se promener du côté de l'avenue du 8 Novembre pour revoir notre chère fontaine aux tritons de Diar-el-Mahçoul ?

Cette fontaine, que dis-je ce monument ! Ce monument, les "autorités de la ville" l'ont fait transporter sur le trottoir du boulevard de l'Amiral-Pierre, face à la mer.

Les tritons "vivaient" au temps des Français à la porte de la Mer. Aujourd'hui, ils sont vraiment sur la mer. Mais ici le vent souffle si fort que je me dis parfois, inquiet, que les embruns risquent d'avoir raison un jour de nos beaux chevaux marins.

J’ai manqué à tous mes devoirs. Savez-vous comment nous devions appeler un habitant de la Redoute ? Un Redoutable, bien sûr. Les Redoutables me pardonneront parce qu’ils savent combien j’ai aimé leur quartier.

Cette photo du Clos-Salembier est un petit trésor pour les nostalgiques comme Guy Imart et comme moi Marc. Laissons parler Guy : « C’est le panorama que nous avions sous les yeux, nous qui habitions 104 chemin Abd el Kader à la Redoute.

Au premier plan, un champ où fut construite en 1954-55 une école. Au fond, à droite, ce bâtiment blanc est l’école du Clos-Salembier. A gauche, la masse noire – boisée - est le parc de la villa Lung (notre Croix-Rouge). Le fort des Arcades se cache dans les arbres sur la crète. Le champ vide au milieu (derrière l’immeuble) menait au cimetière musulman. On commençait déjà à y construire une cité pour les autochtones. La rue des Hortensias court au bas du champ, le long des arbres ».

Guy se souvient d’avoir entendu en 1936, une foule de manifestants montant à travers champ, drapeau rouge en tête, chanter l’Internationale. Il oublie peut-être (peut-être j’insiste !) que cette foule criait aussi le poing levé : « Les serviettes partout ». Nous savons que le torchon a commencé à brûler en novembre 1954.

Merci Guy.

En 1942-43, lorsque l’école du Clos-Salembier fut occupée par la Navy américaine, deux officiers furent logés dans la famille Imart. L’un, Paul Hanlin, était en charge de la préparation des débarquements en Sicile puis à Anzio ; l’autre était le fameux acteur de cinéma Douglas Fairbanks Jr qui occupa la chambre de Guy pendant six mois. Il parlait un français irréprochable, avait fait de l’espionnage dans l’entourage immédiat de Philippe Pétain puis, engagé dans les Marines, participa à la libération des îles Eoliennes (archipel volcanique italien au nord-est de la Sicile), à des opérations de commando sur la côte albanaise et à des missions en Egypte. Il est resté en contact – contact épistolaire intermittent nous précise Guy - avec lui jusqu’à sa mort.

Prenez le temps de lire cette lettre de Guy Imart.

 

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